dimanche 9 mars 2014

SOUS LES VOILES DU SECRET





 Cette note est signée de l'ésotériste Denis Andro ; elle a été publiée dans Les Cahiers de l'Ailleurs no 4 (mars 2014) ; merci à Dominique Dubois, responsable de la revue, de nous l'avoir communiquée.

Le Secret dévoilé. Enquête sur les mystères de Rennes-le-Château de Christian Doumergue, Ed. de l'Opportun, 2013.

Ce gros livre de 658 pages a reçu à sa sortie un certain accueil. L'auteur a même été invité sur « Europe n°1 » à l'émission de Franck Ferrand consacrée à l'histoire, et sur « RTL » à celle de Jacques Pradel sur les affaires criminelles. Il retrace le parcours d'un mordu de Rennes-le-Château depuis le lycée, sur une vingtaine d'années jalonnées de désillusions et de nouvelles hypothèses.  Il est intéressant par les avancées qu'il propose sur le plan des faits dans une première partie, et pour l'enthousiasme et la fascination (le terme est utilisé à plusieurs reprises) qui conduit l'auteur à des hypothèses très spéculatives – pour ne pas dire fantaisistes - dans le restant du livre, autour du personnage par ailleurs antipathique (un ancien collaborationniste) de Pierre Plantard qui, on s'en souvient, avait participé à la création du mythe par ses entretiens avec Gérard de Sède (L'Or de Rennes, 1967).

 Dans une première partie, la démonstration de Ch. Doumergue repose notamment sur l'idée de découpler découverte archéologique ou d'un éventuel « trésor » (des fouilles sont en tous cas avérées dans le cimetière du village) d'une part, origine de la fortune de l'abbé Saunière de l'autre. Autrement dit, la seconde n'est pas nécessairement liée à la première (si elle existe), ce qui conduit à examiner d'autres contextes. Comme l'a montré documents à l'appui Laurent Buchholtzer alias Octonovo [1], Bérenger Saunière doit sa fortune, à partir de 1898, à un trafic de messes. Mais le début des travaux de rénovation de l'église précède celui-ci : ils commencent en 1886. Alors ? Doumergue explore une piste autour d'Alfred, frère de l'abbé de Rennes: lui aussi prêtre, il était militant d'un Cercle catholique ultra-réactionnaire à Narbonne, dont des membres auraient pu faire des dons à l'abbé Bérenger un temps récalcitrant aux autorités civiles. Hypothèse étayée sur des indices: le nom de certains donateurs figurant sur la liste que Bérenger Saunière fournira à l'évêque pour justifier l'origine de ses fonds correspond à ceux de membres du Cercle de Narbonne; et la devise gravée au fronton de l'église, « In hoc signo vinces », est celle des Cercles catholiques.

 L'ouvrage aurait pu en rester là, correcte contribution à la compréhension (et démystification) des événements. Mais Ch. Doumergue a semble-t-il choisi de ne pas renoncer à une certaine quête historico-spirituelle. Le restant du livre  (400 pages) propose une étonnante relecture de l'affaire de Rennes-le-Château comme mythe instrumentalisé par Pierre Plantard à travers divers écrits et auteurs. Cela aurait pu être une enquête critique sur l'idéologie de ce dernier, influencé par divers ésotéristes, mais de chapitre en chapitre, l'auteur décelant chez Plantard « une dimension symbolique » (p. 225) et non une simple mythomanie, nous voici embarqués dans un manège au rythme endiablé où l'on croise tour à tour intertextualité, initiés, Rose+Croix, Paul Le Cour et sa revue Atlantis, le Hiéron du Val d'Or, Marie-Madeleine, l'Atlantide, Jésus issu d'extra-terrestres et bien d'autres thèmes, dans une suite d'hypothèses audacieuses sinon rapides et branlantes sur les desseins ou les idées de Plantard ou de ceux qui l'auraient lui-même manipulé. Il a ainsi été fait remarquer à l'auteur qu'il faisait une interprétation littéraliste de la Race fabuleuse de Sède [2], un ouvrage qui paraît être un pastiche de Plantard [3]. J'ai, je l'avoue, à un moment décroché: chacun est certes libre de faire les hypothèses qu'il souhaite, Rennes et sa région s'offrant à l'esprit qui le souhaite comme un immense rébus, mais d'une part le contexte ésotérique des XIX e et XX e siècle est ici évoqué sans toujours avec une vraie  profondeur (des chercheurs reconnus, Marie-France James ou Jean-Pierre Laurant, ne figurent pas dans la bibliographie); c'est regrettable car certains des occultistes rencontrés sont peu connus. Dans sa revue Magdala Doumergue a pu en évoquer quelques uns, le néo-cathare Déodat Roché ou le néo-gnostique Louis-Sophrone Fugairon. D'autre part on est en droit de s'interroger: un « chercheur » (de surcroît titulaire de diplômes universitaires, comme Doumergue) n'a-t-il pas, au regard de la vérité, des devoirs envers ses lecteurs et envers lui-même ? Mais croire, c'est peut-être vouloir croire. D'un autre côté, que celui qui n'a jamais cru aux mystères de Rennes-le-Château jette la première pierre...

 Denis Andro


[1] Rennes-le-Château. Une Affaire Paradoxale, Les Éditions de l'Oeil du Sphinx, 2008.

[2] La Race fabuleuse. Extraterrestres et mythologie mérovingienne, J'ai lu, « L'Aventure mystérieuse », 1973.

[3] Cf la précision de Paul Rouelle  sur le blog Le Bibliothécaire: http://lebibliothecaire.blogspot.fr/2013/08/lettre-ouverte-de-la-direction-de.html. Je n'entre pas dans les conflits entre sauniérologues qui ont suivi la parution  du livre de Doumergue.

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