mercredi 24 août 2016

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LE MODELE DE PICKMAN, Lovecraft





Le modèle de Pickman (1926, The Pickman Model in Weird Tales, 1927). Ce texte est certainement celui dans lequel Lovecraft exprime le mieux sa fascination pour l’art macabre. Il s’agit du récit d’un dénommé Thurber, fasciné par les créations du peintre Richard Upton Pickman qu’il rencontre à l’Art Club de Boston, musée qui vient de refuser d’exposer un de ses tableaux intitulé Le Festin des Goules.
Les artistes, les vrais artistes connaissent l'anatomie de la terreur, la physionomie de la peur. Ils savent lier leurs tracés, leurs perspectives avec nos instincts les plus profonds et nos terreurs ancestrales. Leurs contrastes si singuliers, leurs jeux de lumière éveillent en nous ce sentiment latent d'étrangeté. Je n'ai pas besoin de vous expliquer comment une œuvre de Fuseli nous fait frissonner tandis qu'on se mettra à rire devant la couverture d'une nouvelle fantastique à dix cents. Ces créateurs perçoivent quelque chose, quelque chose qu'ils parviennent, l'espace d'un instant, à nous transmettre. Doré y parvenait. Sime y parvient. Angarola de Chicago aussi. Et Pickman y parvenait à un degré qui n'avait jamais été atteint auparavant et, que le ciel m'entende, qui ne sera plus jamais atteint.
Il finit par sympathiser avec l’artiste avec lequel il a de longues discussions, dans le cadre de la rédaction d’une monographie sur laquelle il travaille et consacrée à L’Art Ésotérique. Pickman l’entraîne dans le vieux quartier de Copp’s Hill où il réside, et où habita le démonologue Cotton Mather. Je pourrais vous montrer la maison où il a vécu et une autre dans laquelle, malgré ses rodomontades, il était trop lâche pour entrer. Il en savait plus long que ce qu'il a écrit dans ce stupide Magnialia ou dans Les merveilles du monde invisible. On dirait le titre d'un livre pour enfants !
Mais le véritable atelier du peintre se trouve dans la cave d’une vieille masure abandonnée où il entraîne l’étudiant. Et là, c’est le choc : Je n'essayerai pas de décrire ces œuvres : l'atrocité, l'horreur blasphématoire, une incroyable abhorrence et l'abomination morale émanaient de touches subtiles, que les mots seraient impuissants à décrire. Il n'y avait là nulle ressemblance avec les techniques saisissantes de Sidney Sime ou les étendues trans-saturniennes, les thallophytes lunaires qui glacent le sang dans les toiles de Clark Ashton Smith. Les paysages ne représentaient que des cimetières, des forêts, des falaises de bord de mer, des tunnels de briques, des pièces lambrissées ou de simples caveaux de pierre. Le cimetière de Copp's Hill, tout proche, était le panorama le plus représenté. Mais ce qui terrifie le plus le visiteur, c’est l’incroyable vérité des visages des monstres représentés, ces maudits visages qui semblaient lorgner hors du cadre en bavant, comme animés d'une vie propre ! Bon sang, mon vieux, j'avais vraiment l'impression qu'ils étaient vivants ! Pour animer ce cauchemar, cet infect sorcier avait étalé sur sa palette les feux de l'enfer et employé un bâton de sorcier comme pinceau.
Et de pénétrer dans le sanctuaire secret de Pickman, une pièce voûtée au milieu de laquelle se trouve un puits recouvert d’un couvercle en bois. Découvrant avec horreur un tableau en cours, Thurston se met à hurler. Il s’enfuit, un croquis entre les mains alors que l’artiste tire plusieurs coups de feu. Il explique à son visiteur que son cri a réveillé un troupeau de rats. L’étudiant découvrira en rentrant chez lui que le croquis est en fait une photo représentant un monstre abominable sortant du puits. On ne retrouvera jamais Pickman.

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