dimanche 25 mars 2018

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LE DÉMON NOIR, Robert Bloch






Le Démon noir est un recueil de nouvelles lovecraftiennes de Robert Bloch (Clancier-Guénaud, 1983).

Le secret de la Tombe (Weird Tales, Mai 1935). Un texte assez naïf, manifestement inspiré de La Tombe (Lovecraft, 1917). Un quidam reclus dans un vieux manoir vit avec un manuscrit que lui a remis son père, contenant le secret de la famille, la lignée du patriarche Jeremy Strange. Il y est question de révélations sur l’immortalité. Il passe son temps à étudier le texte, éclairé par d’autres ouvrages comme le Necronomicon, le Livre d’Eibon, la Cabala de Saboth et les Mystères du Ver. Puis un jour, il reçoit une sorte d’appel qui le conduit à pénétrer dans le caveau familial. Il ne résistera pas à l’envie de soulever le couvercle de la tombe monumentale de Jeremy Strange, découvrant l’ancêtre à moitié décomposé, mais toujours en vie. Ce dernier cherche à saisir son descendant. Mais il réussira à se dégager et à s’enfuir, mettant le feu au tombeau.

L’expérience de James Allington (Weird Tales juin 1935) est un récit très amateur, retraçant les recherches d’un sorcier contemporain, lecteur assidu du Necronomicon, des Mystères du Ver, du Culte des Goules et des Rites Noirs de Luveh-Keraph, le prêtre fou de Bast. Il est persuadé que par auto-hypnose, il peut se dédoubler et matérialiser la partie sombre de sa personnalité. Ce qu’il réalisera, libérant un monstre qui cherche à l’étriper ! On le retrouvera mort dans son bureau fermé à clef avec sur lui les empreintes d’un singe gigantesque.

Le Dieu sans visage (Weird Tales 1936) met en scène un antiquaire véreux qui organise une expédition au fin fond du désert pour récupérer une mystérieuse statuette dont parlent les indigènes avec beaucoup de crainte. L’objet sera retrouvé, dégagé de sa gangue et rapidement identifié comme étant une représentation du Dieu du Mal, Nyarlathotep. Suit une belle description du cheminement de la divinité, venue du désert pour reprendre le contrôle de l’humanité. Son nom est mentionné dans le Necronomicon, Le Livre d’Eibon et Les Mystères du Ver. L’équipe de l’antiquaire est terrorisée et parle d’une sombre malédiction. Elle quittera le camp de nuit, laissant le malfrat seul. Après une longue errance dans le désert brûlant, suivi par l’ombre du Pharaon Noir, il reviendra à son point de départ et sera « absorbé » par la créature, sa tête seule émergeant du sable alors que les vautours commencent à se manifester.

Le Démon Noir (Weird Tales, novembre 1936) est un récit émouvant mettant en scène l’auteur et Lovecraft sous le nom d’Edgar Gordon. Bloch est subjugué par les textes de Gordon, entre en relations épistolaires avec lui pour lui soumettre sa modeste prose. Il lui rend visite, et Gordon lui parle de ses sources, ses rêves, qui sont de plus en plus vivants. Ainsi sa fameuse nouvelle, La Gargouille, est-elle inspirée de sombres cités aux confins du fabuleux Vide du Dehors, cités visitées en rêve. Et il précise avoir rencontré Azathoth, Narlathotep, Yog-Sothoth et la planète Yuggoth bien avant d’avoir lu le Necronomicon, les Mystères du Ver ou le Livre d’Eibon. Mais Bloch constate que Gordon vire de plus en plus dans le morbide, ses derniers livres donnant le sentiment que le narrateur n’est pas un être humain. C’est la raison pour laquelle L’Être Décharné de la Nuit et l’Âme du Chaos seront refusés par les éditeurs. Il finit par avouer avoir écrit ces textes parce qu’on lui avait demandé de les écrire. Et de délirer sur le thème qu’il a été choisi comme messager par l’Être Sombre qui peuple ses rêves. Une créature abominable « qui ressemble assez au démon Asmodée ». « Ses intentions ne sont pas mauvaises et m’a promis que je m’incarnerais avec lui ».
Gordon demande à Bloch de cesser ses visites, car il dort de plus en plus longtemps. Inquiet, il se rendra quand même au domicile de l’écrivain et un éclair illuminera son bureau lui permettant de constater… que l’incarnation a bien eu lieu !

Le narrateur de La créature de l’horreur (Weird Tales, avril 1937) est professeur qui prend quelques vacances à Bridgetown. Il y rencontre par hasard l’un de ses anciens étudiants, Simon Maglore, qui vient de s’installer, suite au décès de ses parents, dans la demeure familiale sise à proximité de la bourgade. Un élève extrêmement brillant qui possédait une excroissance sous l’omoplate gauche. Il s’était signalé par une imagination particulièrement morbide ; l’un de ses poèmes, Pendaison de la Sorcière, avait obtenu un prix réputé. Il était très versé en occultisme et fin connaisseur de la Cabala de Saboth et des Mystères du Ver notamment.
Le professeur a du mal à le reconnaître sous son aspect hirsute et avec son excroissance qui a singulièrement enflé. Il lui rendra visite à plusieurs reprises et Simon finira par avouer qu’il est possédé physiquement par un homoncule qui ne cesse de se développer et qui lui a ordonné d’écrire un livre évoquant « l’Être Noir ». Et de le retrouver mort lors d’une ultime visite, déchiqueté par son hôte de chair.
Une nouvelle manifestement inspirée par Cassius (1930, une révision de Lovecraft pour Henry Saint-Clair Whitehead, Strange Tales of Mystery and Horror, 1931).

Dans Le Secret de Sebek (Weird Tales, novembre 1937), un jeune écrivain se promène dans les rues de la Nouvelle Orléans une nuit de carnaval et rencontre un quidam déguisé en prêtre égyptien. Il l’aborde, contact d’autant plus facile que la personne, du nom de Henricus Vanning, connaît son œuvre et est comme lui passionné l’occultisme. Il le convie à une « partie » qu’il va donner dans son manoir, une soirée du « Club du Cercueil ». Les invités sont déguisés de façon très folklorique, dont un prêtre inquiétant qui porte d’œil de Horus, mais vite délaissés car Vanning veut montrer à son nouvel ami quelque chose de spécial. Dans une petite pièce sont réunies quelques personnes érudites, dont l’occultiste Etienne de Marigny et le Dr Delvin qui a joué un rôle important dans l’affaire Randolph Carter. Et de montrer à l’écrivain, dans un local attenant, le cercueil d’un prêtre de Sebek ramené d’Égypte par un ethnologue du « club ». Vanning veut le point de vue de son invité sur la malédiction que ferait courir cette divinité. Il a en effet beaucoup étudié sur le sujet dans le Livre d’Eibon, le Culte des Goules et le De Vermis Mysteriis. Ludwig Prinn, dans son chapitre sur « les Rites Sarrazins », analyse en effet de façon très détaillée le Dieu Sebeth, créature assoiffée de sang. La réunion sera interrompue par l’irruption du prêtre porteur de l’œil de Horus qui se précipite sur Vanning et le déchire de ses griffes… de crocodile !

Robert Bloch continue d’exploiter le filon égyptologique dans Le Sanctuaire du Pharaon Noir (Weird Tales décembre 1937) qui met en scène le Capitaine Carteret à la recherche de la crypte de Nephrem-Kâ, pharaon sulfureux entretenant le culte de Nyarlathotep. Il a consacré toute sa vie à l’étude de cette légende, aidé par la lecture du Necronomicon et du chapitre sur « les Rites Sarrazins » du De Vermis Mysteriis. Suit une description très complète de la vie de ce dignitaire qui était réputé pour connaître l’avenir, mais qui disparaîtra, pourchassé à cause du caractère sanglant de son culte au « Singe Aveugle de la Vérité ». Il se réfugiera dans une galerie souterraine où se trouve sa tombe.
Carteret est approché par un bédouin qui lui dit connaître la galerie et lui montre « le Sceau de Nephrem-Kâ ». Carteret le suit et pénètre dans un long tunnel sur les murs duquel sont dessinées toutes les scènes de l’histoire de l’Égypte. Ils arrivent à la période contemporaine dont la suite est masquée par un rideau rouge. Le bédouin lui avoue être un prêtre du Pharaon Noir et fait glisser le rideau. La gravure représente Carteret poignardé, dernière vision qu’il aura avant de s’écrouler sous le coup de l’arme blanche que dissimulait son accompagnateur sous son burnous.

Les Serviteurs de Satan (1935, Robert Bloch ; Satan’s Servant in Something about Cats and other Pieces, 1949). Un texte abondamment commenté par notre auteur. L’édition comprend un papier de Robert Bloch qui raconte que Lovecraft, épuisé, a refusé de faire une véritable révision, mais lui a fourni de nombreuses notes pour améliorer son texte. Et la lecture de ces dernières donne une bonne idée de l’immense culture de l’écrivain de Providence : remarques sur la chronologie historique, l’architecture, la géographie, la flore, le tout pour donner plus de vraisemblance au texte. L’histoire en elle-même est simple. C’est celle d’un pasteur fondamentaliste, Gideon Godfrey, qui part à Roodsford, petit port perdu de Nouvelle Angleterre, où semble subsister un culte satanique. A noter que cette localité oubliée est citée pour la première fois dans les Chronicles of Captain Elias Godworthy, his Trips and Explorations upon the Continent of North America (Haverstock, Londres, 1672). Le voyage est classique, avec l’inévitable égarement dans la forêt, puis c’est la découverte du village délabré où tout le monde se terre. Une population curieuse, âgée ; pas d’enfants et… pas de cimetière. Il pénètre dans la première demeure où il reçoit un accueil méfiant et assiste à des apparitions effrayantes. Il se fait alors passer pour un messager de Satan, ce qui a lui permet de briser la glace et d’être associé à la préparation du prochain sabbat. Une cérémonie abominable à laquelle il mettra fin en exhibant sa Bible, ce qui aura pour effet de décimer les participants du village qui étaient devenus des mort-vivants.
A noter qu’outre la Bible, le pasteur utilise des rituels tirés du Necronomicon et se réfère au Daemonic Presences d’Hebert qui comprend des allusions subtiles à La Fable de l’Arbre et du Fruit.

Dernière pièce de l’ouvrage, Le Dieu des Abysses (Fantastic, juin 1958) nous entraîne sur l’île de Santa Rita, dans l’archipel des Caraïbes, en compagnie de l’écrivain Howard Lane. Ce dernier rencontre deux aventuriers, Don et Dena, qui ont trouvé un vieux manuscrit faisant état de l’existence de l’épave d’un galion, dans les parages. Il aurait coulé mystérieusement après que son équipage ait dérobé un autel en or et un coffret précieux appartenant à la tribu indigène d’un autre îlot. L’expédition est vite montée, l’épave localisée et les plongeons vont se succéder. Un des membres de l’équipe sera décapité alors qu’il essayait d’ouvrir le coffre, puis ce sera au tour de Don lors d’une plongée avec l’écrivain. Celui-ci tombera en adoration devant la créature tentaculaire qui a investi les lieux et lui offre Dena afin de satisfaire son appétit insatiable. Il finira ses jours à psalmodier dans la prison de Santa Rita.

Le recueil se termine par un Voyage dans le temps avec H.P. Lovecraft où l’auteur évoque sa découverte du Maître dans Weird Tales, sa correspondance passionnée, et la dette immense qu’il lui doit pour lui avoir mis le pied à l’étrier.

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