dimanche 15 mars 2009

BERGIER N'EST PAS UN CROCODILE



Lu dans le premier numéro 2009 de "La Lettre du Crocodile" :

Jacques Bergier méritait un bel hommage. Celui qui fut bien plus et bien autre que le co-auteur du célèbre Matin des magiciens, rédigé avec Louis Pauwels, demeure en effet un mystère, comme le sont souvent ceux dont les compétences traversent aussi bien les domaines scientifiques que la littérature et le fantastique. Cet hommage existe désormais sous la forme de deux livres, qui en annoncent d’autres : Jacques Bergier (1912-1978) amateur d’insolite et scribe de miracles de Marc Saccardi, publié à L’œil du Sphinx dans la Collection d’Abdul Alhazred et un riche volume maquetté selon les standards de la revue Planète dont il fut, parfois à contre-coeur, l’une des figures, Jacques Bergier, l’aube du magicien, premier volume d’une anthologie réalisée par Joseph Altairac et publiée bien sûr par L’œil du Sphinx dans la collection Les dossiers du Réalisme Fantastique.
Jacques Bergier, l’un des premiers lovecraftiens, le découvreur en France de Tolkien, fut peut-être avant tout un grand chroniqueur et un vulgarisateur scientifique remarquable, qui rédigea des centaines de pages dispersées dans un grand nombre de revues, connues ou confidentielles. L’ensemble forme une œuvre protéiforme, énigmatique, passionnante.
Le premier volume de l’anthologie, Jacques Bergier, l’aube du magicien rassemble une sélection d’articles parus avant l’aventure du Matin des magiciens, ce qu’indique le titre du volume. Au sommaire, vous trouverez principalement des articles parus dans la Bibliothèque Mondiale, La Tour Saint-Jacques où il collabora avec Robert Amadou, Fiction, Ailleurs, Satellite et des articles ou documents issus d’autres sources. Il rédigea pour la Bibliothèque Mondiale des essais courts servant d’introduction ou de préface à des « classiques » de la littérature. Il se servait de son érudition pour proposer des regards décalés ou novateurs, introduire des liens improbables, toujours inviter à penser. Avec La Tour Saint-Jacques, c’est sa passion de la parapsychologie, passion que partageait Robert Amadou, qui put s’exprimer dans un supplément très apprécié des lecteurs. Nombre d’articles, pour Satellite ou Fiction notamment, traitaient de la science-fiction et des sciences, Jacques Bergier regrettait parfois que la science-fiction ne s’empare pas davantage des grands enjeux de la science.
Jacques Bergier, qui avait connu les camps de la Mort, qui fut résistant, épris de liberté, fut, sous des modalités inattendues parfois, un grand humaniste, un esprit d’une rare ouverture et d’une grande sagacité. Ce livre dresse un portrait attachant de cet homme de l’écrit et nous offre un recueil d’une rare richesse. Les articles proposés témoignent aussi d’un temps où le droit de rêver, le désir de réenchanter le monde, paradoxalement, étaient plus entendus et respectés qu’aujourd’hui.
Le travail de Marc Saccardi relève lui de la recherche biographique sur une personnalité fort complexe. Il dessine un portrait tout en nuance du personnage. Il a le grand mérite d’avoir mis en évidence un axe dans le foisonnement créatif de Jacques Bergier, passé maître dans l’art de dérouter, et d’indiquer une méthode pour l’approcher :
« Toute sa vie, il s’est intéressé aux sciences parallèles, à l’espionnage et à la science-fiction et il a su motiver la curiosité de ses lecteurs grâce à son style inimitable. Aujourd’hui, ce type d’investigation a pris des proportions incroyables et pas seulement sur Internet. C’est l’heure du macro-complot destiné à abreuver un public assoiffé de mythes invraisemblables. Encore une fois, si on lit passivement la plupart des livres de Bergier, on est ballotté dans tous les sens. Pour comprendre cette mécanique, le lecteur doit redoubler d’efforts intellectuels mais aussi disposer de temps. Après, seulement, il pourra se rendre compte qu’il a effectué un important travail sur lui-même. C’est à ce prix qu’il pourra enfin se faire sa propre opinion, non pas, évidemment, sa vérité. Et qu’on ne s’y trompe, son « but était de renseigner les lecteurs et non de fournir des idées au romancier. » »
Et Marc Saccardi de conclure : « Bergier était un empêcheur de dormir en rond. »
Les documents rassemblés en annexe sont tout à fait intéressants, notamment le chapitre inédit de ses mémoires concernant la revue Planète où l’on découvre qu’il ne partagea finalement à aucun moment l’orientation de la revue. On y trouve aussi des projets de livres et la retranscription d’un texte étonnant : Economie politique d’un enfer tiré de la revue les Cahiers du sud, n°286, Tome XXVI, 2ème trimestre 1947. Dans ce texte, Bergier, rapporte la terrible démonstration que lui fit un déporté de Mauthausen pour définir les camps de la Mort comme des systèmes capitalistes simplifiés. Tous les ressorts du capitalisme se retrouvent en effet dans les mécanismes des camps de la mort ce qui ne peut que nous conduire à nous interroger non seulement sur l’essence mortifère du capitalisme mais sur la puissance des conditionnements humains. Le déporté conclut : « Je crois que dans votre monde à vous, comme dans le nôtre, la délivrance finira par venir, mais, je crois que chez vous non plus, elle ne viendra pas toute seule. », phrase qui résonne curieusement en cette année 2009.
L’œil du Sphinx, 36-42 rue de la Villette, 75019 Paris.
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