jeudi 15 mars 2012

LES FRIANDISES DU CARDINAL : LES RIVIERES DE LONDRES

Les rivières de Londres de Ben Aaronovitch
 
Il me semble que les Anglais comptent, depuis quelques temps, certains des écrivains d’ "urban fantasy" les plus originaux et les plus talentueux : Ben Aaronovitch, nouveau venu qui signe là son premier roman, en est un excellent exemple avec "Les rivières de Londres" (Nouveaux Millénaires).
Foin du Londres victorien traditionnel, nous sommes dans le Londres contemporain, moderne et cosmopolite où un jeune Londonien moyen - anglo-africain, buveur de bière et amateur de musique - arrive au bout de ses deux années de policier stagiaire et va obtenir son affectation définitive. La vie étant ainsi faite, il va, la veille de ce jour décisif, alors qu’il est en faction sur une place près d’une église, scène de crime, recueillir le témoignage de première main d’un témoin oculaire du crime. Ce serait parfait si il ne s’agissait d’un fantôme ! Cela pose évidemment problème, mais est-ce vraiment le cas ? Roger, le jeune policier, va se retrouver affecté à la Répression des Fraudes, service fourre-tout où il est rattaché à l’inspecteur Nightingale qui constitue un service, et un service puissant, à lui tout seul. Pourquoi ? Parce que, suite à un "accord", il sert à assurer le lien et la police avec toutes les créatures surnaturelles du royaume : en effet, comme il le rappelle, la justice de la Reine s’étend à tous ses sujets, et ce quelle que soit leur nature. Roger et Nightingale vont ensemble enquêter sur une série de meurtres particulièrement horribles : ce brave garçon apprendra ainsi la police sur le terrain tout en devenant l’apprenti de Nightingale. Cette enquête lui fera découvrir les esprits de la nature qui incarnent les rivières alimentant la Tamise, fleuve lui-même divisé entre le père Tamise, le Vieil Homme du Fleuve, et mama Tamise, de manière surprenante une matrone nigériane (!) et ses nombreuses filles : les deux esprits tutélaires s’affrontent pour le contrôle de Londres et ce sera à Roger de faire régner l’ordre et d’éviter l’affrontement ouvert. Assisté par la jeune policière Lesley - de surcroit fort attirante -, l’énigmatique, inquiétante et muette Molly - cordon bleu de la cuisine anglaise la plus roborative - et du chien Tobby, Roger va progresser humainement et magiquement, menant avec talent enquête et expériences, entouré de policiers d’autant plus sympathiques qu’ils passent leur vie au pub. Vous l’avez compris, le roman est rempli de remarques aussi acérées que bon enfant sur la vie actuelle à Londres, sa police et ses habitants, le tout formant un portrait manifestement rempli d’affection, l’auteur aime sa ville.
Le roman est superbe. Ben Aaronovitch a su avec beaucoup de talent intégrer tous les éléments de notre vie moderne à la magie la plus traditionnelle. Cela donne un résultat d’une grande finesse car à travers Nightingale et Roger, ce sont deux conceptions du monde qui s’opposent : celle du magicien traditionnel et celle du magicien moderne qui veut comprendre, de manière scientifique et rationnelle, pourquoi, par exemple, la puce en silicium se décompose en sable lors de l’usage d’un sort si la batterie est branchée... Cette dualité fondamentale du monde se retrouve de même à travers les deux incarnations de la Tamise, l’ordre patriarcal traditionnel d’une certaine ruralité anglaise et blanche centrée autour de la source du fleuve et la matriarchie à l’africaine, symbole d’égalité entre hommes et femmes, représentant la Tamise londonienne, multiculturelle et ouverte sur le monde ; encore plus finement, nous la retrouvons dans l’opposition entre l’ordre représenté par Roger et l’esprit de contestation et de révolte populaire du célèbre Mr Punch. En même temps il s’agit, dans chaque cas, de montrer la difficulté à évoluer tout en maintenant un cadre traditionnel.
 
Mais je ne vous en dirais pas plus : si vous voulez avoir la réponse à des questions aussi fondamentales que pourquoi un troll change-t-il de pont ou pourquoi faut-il porter des lunettes de protection lorsque l’on fait léviter une pomme ? Lisez ce roman plein d’humour et d’intelligence.
 

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