lundi 5 novembre 2012

LES TRACASSES DU PIC


Aude J-48 avant la fin du monde, Bugarach se prépare

 

Midi Libre

JEAN-PIERRE LACAN
04/11/2012, 18 h 55 | Mis à jour le 04/11/2012, 18 h 58
Jean-Pierre Delord, maire du village : "S’il y a des pépins, le 21, je veux pas être responsable"
Jean-Pierre Delord, maire du village : "S’il y a des pépins, le 21, je veux pas être responsable" (Montage photo MAX BERULLIER) 
 
 
La tension monte dans le village audois de Bugarach dont le pic sera le seul lieu au monde à résister aux périls qui s'abattront sur nous le 21 décembre... Si l'on en croit les prêcheurs de l'apocalypse.
"C’est la cent quatre-vingt-troisième fin du monde que l’on prédit depuis l’antiquité. Nous avons échappé à toutes les autres, nous échapperons bien à celle-là", s’esclaffe Jean-Pierre Delord, solidement installé sous le buste de Marianne dans cette salle qui sert à la fois au secrétariat et au conseil municipal. Il a beau jeu, le maire de Bugarach, de jouer les esprits forts. La fin du monde, s’il est un endroit, un seul, où on pourra y échapper le 21 décembre, c’est précisément dans cette commune de 200 habitants au cœur des Corbières.
Un seul endroit sauvé des eaux, des séismes, des raz de marée, des ouragans que provoquera l’inversion des pôles, la collision avec la planète Nibiru ou encore la fin de l’âge sombre de Kali : Bugarach, le pic de tous les saluts qui, du haut de ses 1 230 mètres, émerge de la bouillie où mijotent les prêcheurs de l’apocalypse.
Qu’ils s’inspirent des mythes mayas, des croyances sumériennes ou de la tradition hindoue, tous s’accordent à dire que c’est dans le maquis de Bugarach, là où les Templiers auraient enfoui l’arche d’alliance, là où serait planqué le Saint-Graal, qu’il faudra être le 21 décembre quand tout pétera.
"Je les appelle les tracassés du pic" (Jean-Pierre Delord)
Jean-Pierre Delord ricane mais il est inquiet pourtant. "Depuis le temps, j’en ai vu des cinglés. Je les appelle les “tracassés du pic”. Des types qui font l’escalade en aube, d’autres qui déambulent à poil dans les broussailles, d’autres qui se font baptiser dans le lac de la Vène. On est dans le triangle d’or où les Cathares auraient mis à l’abri leur trésor. Mais, franchement, avec cette histoire de fin du monde, les tracassés sont de plus en plus nombreux." C’est d’ailleurs ce que confirme un compteur placé sur une voie d’accès au pic : de 2010 à 2011, le nombre de passages a doublé.
"Imaginez qu’ils soient des milliers le 21 à vouloir faire l’ascension !" (Jean-Pierre Delord)
Du coup, le maire, tire le signal d’alarme : "Avec tout le ramdam qu’il y a sur internet et dans les médias, imaginez qu’ils soient des milliers le 21 à vouloir faire l’ascension ! Chaque année on a des accidents là-haut. L’été 2011, un Américain y est même mort. S’il y a des pépins, je ne veux pas être responsable. Qu’est-ce que je peux faire avec un garde municipal ?" Jean-Pierre Delord affirme qu’il a obtenu trois escadrons de gendarmerie et qu’il interdira par arrêté l’accès aux quatre sentiers escaladant Bugarach. Précaution supplémentaire : avec une équipe de spéléos, il a reconnu, au cas où, le Buffo fret, un réseau karstique de 5 kilomètres de galeries où, selon les "tracassés", patienteraient depuis des siècles, une palanquée de petits hommes verts et leur soucoupe.
À la préfecture, on ne confirme pas les trois escadrons : "Le dispositif sera proportionnel et réversible"... Le jargon administratif traduit l’embarras face à un événement que personne ne sait apprécier.
Ce sont plutôt les journalistes qui déferlent en ce moment
Du côté de Bugarach, ce sont plutôt les journalistes qui déferlent en ce moment, provoquant le ras-le-bol des villageois. Canal + qui diffusera un programme spécial, leur a offert un an d’abonnement pour s’attirer leurs grâces…
Les journalistes affluent, tout comme les marchands. "J’ai été contacté par des gars de Béziers qui recherchaient un local pour y stocker 500 000 lettres testamentaires. Via internet, ils recueillent les dernières volontés de ceux qui ne pourront pas être ici le 21 décembre et leur assurent, moyennant cinq euros, qu’elles seront transmises à la postérité." Le maire a même porté plainte contre un site qui vend, avec certificat, des "pierres de l’éternité" récoltées sur le site : de 147 € les 98 grammes à 2 925 € le caillou de trois kilos. La fin du monde, ça peut rapporter gros. Mais au fait, à quoi bon ?
Questions à Jean-Pierre Jougla, juriste et spécialiste montpellérain des sectes
Doit-on s’inquiéter du 21 décembre 2012 ?
Il faut avoir conscience que cette théorie cataclysmique est utilisée par des groupes sectaires pour mettre des gens sous pression. Pour eux, le monde extérieur devient franchement hostile en raison du déchaînement des éléments. Les personnes sont poussées à se sentir assiégées.
Il y a eu plusieurs prédictions. Comment se peut-il que des gens soient encore dupes ?
Lorsque le moment de l’apocalypse est passé, les adeptes ne quittent pas le groupe parce que le gourou trouve toujours le moyen de répondre au besoin d’explication des adeptes.
Que peut-il se passer à Bugarach ?
On peut redouter des décompensations de la part de gens qui ont cru dur comme fer à cette fin du monde et qui verront qu’elle n’a pas lieu. Ils peuvent avoir des réactions imprévisibles.
Comme se suicider ?
Oui, bien sûr. Le suicide de nature sectaire est essentiellement lié au fait que la réalité du monde objectif remet en question la réalité de la théorie sectaire. Or, dans une secte, la théorie est toujours beaucoup plus importante que la réalité objective.
C’est la logique des "suicidés" de l’ordre du Temple solaire ?
Tout à fait. Les 74 morts en 1994 et 1995, s’expliquent parce que la théorie des gourous de l’ordre était confrontée à une incapacité de mener à terme leur prédiction.
Pensez-vous qu’il y aura du monde à Bugarach ?
Le battage médiatique attirera certainement des curieux mais pas que des curieux. Il y aura aussi des gens persuadés d’avoir une mission pour lesquels ce sera le seul endroit sur la planète où elle pourra se réaliser.
De bien curieuses constructions
Pour se mettre à l’abri des périls qui déferleront le 21 décembre, il y a bien le pic de Bugarach mais il y a aussi... les bunkers. Jean-Pierre Delord a été un peu interloqué, il y a quelques jours quand une SCI via un architecte toulousain, lui a soumis le permis de construire d’une maison de 100 m2 au sol. "Ils ont prévu une cave qui fait la totalité de l’emprise. Pourquoi si grand ?" s’interroge-t-il.
La mode des bunkers touche le département voisin des Pyrénées-Orientales. Le parquet de Perpignan a même diligenté plusieurs enquêtes à ce propos.
En 2010, l’administration, informée par des riverains qu’intriguait un va-et-vient incessant de camions espagnols, s’est rendue sur un terrain à l’écart du village de Lamanère. Là, on a découvert deux excavations profondes de 5 mètres dont l’une de 300 m2. À l’intérieur s’élevaient déjà d’épais murs en béton armé. La SCI propriétaire des lieux a, pour administrateur, une personne très proche de Ramtha, un groupe apocalyptique signalé dans le dernier rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Le gourou, une femme, prétend converser avec Ramtha, guerrier lémurien ayant libéré son peuple des Atlantes. Rien de moins. "L’implantation récente de plusieurs membres de ce groupe sur des sites particulièrement isolés des P-O fait l’objet d’une attention soutenue", peut-on lire dans le rapport de la Miviludes.

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