jeudi 20 décembre 2012

BUGARACH, ON ATTEND

  • À Bugarach, la presse piétine en attendant la fin du monde

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    Par Angélique Négroni Mis à jour | publié Réactions (6)
    Une centaine de gendarmes et une horde de journalistes s'agglutinent, mercredi, dans les rues de Bugarach.
    Une centaine de gendarmes et une horde de journalistes s'agglutinent, mercredi, dans les rues de Bugarach. Crédits photo : Jean-Christophe MARMARA/JC MARMARA/LE FIGARO

    Russes, Chinois, Hongrois… 244 journalistes du monde entier ont été accrédités par la préfecture de l'Aude pour assister à l'apocalypse.

    Surréaliste! Une centaine de gendarmes sillonnent les rues de Bugarach (Aude) et les alentours, des hélicoptères balaient le ciel et une horde de journalistes s'agglutine sur les chemins empruntés par les forces de l'ordre. Et tout cela pour rien! Malgré la publicité mondiale, via le Net, concernant Bugarach - ce village qui serait épargné par la prétendue fin du monde le 21 décembre - l'affluence n'y est pas. Cette petite commune de 200 âmes n'est guère assaillie par les croyants du monde entier qui viendraient s'y réfugier, dans l'espoir d'être épargnés par l'apocalypse. Aucun car, aucun cortège de voitures n'arrive dans ce coin perdu de l'Aude. La bourgade offre sa mine habituelle, avec ses ruelles désertes et ses rares habitants consternés de voir tant de médias et tant de forces de l'ordre.
    Installés sur un bout de terre détrempé, dans un camping-car de fortune, il y a bien ces trois compères qui ont fait spécialement le déplacement de Perpignan, «pour être là», dit l'un d'eux. Il s'agit d'un père de famille qui a décidé d'emmener dans l'aventure un ami et aussi son fils de 17 ans qui, du coup, sèche l'école. La table de camping est dressée, les verres disposés dessus et deux bergers allemands sont aussi du voyage. «On ne croit pas à la fin du monde, mais on est là pour l'ambiance», lance l'un d'eux, visiblement décidé à faire la fête. C'est a priori loupé, car même les badauds n'ont pas fait le déplacement. Le village, qui aurait pu un peu s'égayer avec l'arrivée de visiteurs inhabituels en cette saison, n'offre même pas un petit air de fête. Bugarach est comme une pièce de théâtre désertée par ses acteurs et par son public. Les tenants de l'apocalypse ne sont pas là et ceux qui auraient pu s'en amuser pas davantage.
    Du coup, les nombreux journalistes - 244 accrédités auprès de la préfecture et venus du monde entier - restent sur leur faim. Et certains arrivent de loin: de Hongrie, de Russie, de Chine ou encore du Japon, comme cette équipe de tournage de Fuji TV. Son réalisateur, Yukihiro, est là pour préparer un documentaire d'une heure dans le cadre d'une émission de divertissement portant sur les villes insolites. «Il y a eu ainsi un film tourné sur une métropole en Inde où l'on avait dénombré le plus grand nombre de jumeaux au monde», raconte Asako, l'interprète du groupe. Il y aura donc un spécial Bugarach: «Yukihiro était tombé sur un magazine relatant cette histoire incroyable. Mais, aujourd'hui, il est déçu. Il pensait que le village serait pris d'assaut par des gens du monde entier», poursuit Asako.
    Ce long cortège de médias qui déambule comme une âme en peine dans les quelques rues de la bourgade, fond alors sur les quelques illuminés du coin, trop contents, quant à eux, d'avoir enfin un auditoire à leur mesure! Parmi eux, Sylvain Durif, de son faux nom cosmique, «Oriana». «Je veux dire ce que sera l'apocalypse, prévue le 21 décembre, et ce ne sera pas la fin du monde. Il s'agira, ce jour-là, d'une révélation, d'une alchimie intérieure qui descendra dans chacun de nos corps», dit-il, en précisant avoir déjà connu cette expérience. «Cela avait été une incroyable décharge d'énergie», décrit-il, en indiquant que cela avait été «l'équivalent de 10.000 orgasmes d'un coup!» Après Bugarach et la fin du monde, Bugarach et les soucoupes volantes, voilà Bugarach et sa version «hot»!

    Le maire assailli par les médias

    Mais c'est aussi le maire, Jean-Pierre Delord, qui est assailli par les médias. Dès son arrivée devant la porte de la petite mairie, il est encerclé par une nuée de caméras et de micros. «On se croirait au procès de DSK! C'est inimaginable», râle un journaliste. Tant d'agitation pour rien… Certains dans le village commencent sérieusement à reprocher au maire sa communication incessante sur son village et à le rendre responsable d'un pareil dispositif de sécurité. L'édile se défend. «Ces mesures ont été décidées par le préfet et non par moi», souligne-t-il. Par précaution, en effet, le représentant de l'État a fait venir en nombre les gendarmes et décrété une série d'interdictions, comme celle de la chasse. Mais certains n'en ont cure. «Manquerait plus que ça, qu'on ne puisse pas chasser!»,indique un habitant, tout sourire, revenant, sans se cacher, d'une virée dans les bois, fusil sur le siège de la voiture et chiens dans le coffre. «J'ai rien tué et rien trouvé, pas même une petite soucoupe volante», s'amuse-t-il.
    Le dispositif de sécurité, réajustable selon les besoins, est en principe prévu jusqu'au 23 décembre. Le 21 décembre, jour J de l'apocalypse, fera peut-être venir davantage de monde. Mais on peut en douter…
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    Car le dispositif policier mis en place ne facilite pas la quête d'information. Les caméramen se rabattent sur l'installation de toilettes sèches portatives, d'autres font des plateaux devant le panneau d'entrée du village. Une équipe de télévision asiatique qui s'enhardit à vouloir filmer un vieil homme se voit menacée de sa canne. Car le dispositif policier mis en place ne facilite pas la quête d'information. Les caméramen se rabattent sur l'installation de toilettes sèches portatives, d'autres font des plateaux devant le panneau d'entrée du village. Une équipe de télévision asiatique qui s'enhardit à vouloir filmer un vieil homme se voit menacée de sa canne.
    Si Bugarach était le seul lieu à échapper à la fin du monde, la Terre ne serait plus peuplée après vendredi que par 200 villageois déjà à bout de nerfs avant l'apocalypse et autant de journalistes sur les dents qui pourront toujours compter sur les gendarmes pour essayer de survivre ensemble.
    Car, pour l'heure, l'afflux d'illuminés ou de curieux redouté par les autorités se fait toujours attendre dans le minuscule village de l'Aude promu à une notoriété internationale dont il se passerait bien.
    Les habitants restent terrés chez eux. Et les ruelles de Bugarach sont parcourus par des équipes de reporters errants qui, sous un ciel bas et lourd, traquent un gibier rare: le mystique. Pour peu qu'un individu au front haut, à la chevelure frisotante et au pull rayé rouge et jaune se montre, c'est la curée médiatique.
    Véritable inspiré ou imposteur malin, on ne se montre pas regardant sur les lettres de créances ésotériques quand la proie est presque trop belle pour être vraie. Et Sylvain Urif, "Oriana" de son "nom cosmique", venu de la vallée voisine, peut livrer à la presse mondiale ravie le "véritable sens de l'apocalypse". Le 21 décembre, "ça ne signifiera pas le cataclysme mais la révélation", une sorte "d'alchimie interne" qui donnera à chacun "amour et compassion". Lui-même a déjà connu le processus: "c'est une lumière dorée qui fait l'effet de 10.000 orgasmes d'un coup".
    Nouveau prodige ! Un deuxième apparaît, qui est venu avec son frère voir "l'alignement des planètes" parce que "toutes ces planètes alignées passent par la montagne et il y a quelque chose qui s'ouvre". Mais lui et son frère, qui avaient planté leur tente dans la montagne, ont été "gentiment" priés de circuler par les gendarmes.
    Car le dispositif policier mis en place ne facilite pas la quête d'information. Les caméramen se rabattent sur l'installation de toilettes sèches portatives, d'autres font des plateaux devant le panneau d'entrée du village. Une équipe de télévision asiatique qui s'enhardit à vouloir filmer un vieil homme se voit menacée de sa canne.
    "C'est du grand n'importe quoi", consent à commenter une habitante. Un autre, stoïque, confie que "c'est toujours la fin du monde pour quelqu'un". Le maire Jean-Pierre Delord, acculé contre la porte de la mairie par une meute de caméras, s'énerve contre les médias qui "ont tout monté en épingle".
    D'après les gendarmes, la non-fin du monde à Bugarach a suscité un engouement médiatique de grand match de foot: 244 journalistes se sont accrédités auprès des autorités qui, depuis mercredi midi et jusqu'à dimanche, interdisent les accès au pic de Bugarach et font filtrer les routes menant au village.
    Environ 150 gendarmes et pompiers sont mobilisés pour assurer le dispositif. Eux aussi seraient sauvés si la fin du monde survenait vendredi.
    Bugarach et son pic, point culminant du massif des Corbières avec ses 1.231 mètres, seraient en effet l'un des endroits du globe où il faut être si l'on ne veut pas disparaître avec le reste de l'humanité le 21 décembre. C'est en tout cas ce que prophétisent des tenants du cataclysme.
    Jean-Louis Socquet-Juglard, un photographe qui habite le village voisin de Sougraigne, se désole de cette "histoire qui stigmatise les gens". Il est l'auteur d'une carte postale devenue un best-seller et qui montre sur le mode ironique le pic de Bugarach autour duquel tourne une soucoupe volante. La carte est signée David Vincent, le héros de la série américaine "les Envahisseurs".
    "On a le droit de s'intéresser aux énergies" qui se dégageraient de l'endroit et "aux légendes qui foisonnent" en pays cathare "sans être pour autant des allumés", dit-il.
    Les habitants attendent avec impatience la fin de la fin du monde pour que leur région trouve une notoriété plus en rapport avec ses qualités intrinsèques, la beauté de sa nature et de son histoire. D'autres en profitent quand même pour faire des affaires et vendre aux journalistes des cafés à 2,50 euros.

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