mercredi 20 février 2013

LES CATHARES AU REGIME

Les Cathares, de «parfaits» végétariens

 Mediapart


A l’époque médiévale, si les chrétiens peuvent manger de tout, le régime alimentaire des Cathares est végétarien. Il se compose le plus fréquemment de pain, d’huile, d’épaisses soupes de légumes, de poissons et de fruits. Mais on l’interrompt plus souvent encore par des jeûnes prolongés. Plongée au cœur de l’ascétisme cathare.
par Mathieu Arnal sur www.frituremag.info

L’abstinence ou la sobriété alimentaire, marque ultime de tempérance, est remarquée dans toutes les communautés religieuses médiévales. Si de nombreux aménagements permettent tout le long des réformes monastiques de gommer l’aridité des régimes, certains chrétiens ne transigent pas. Ils se disent « chrétiens » et, pour désigner les prêtres de leur religion, les fidèles ou croyants emploient l’expression significative de « Bons Hommes », « Bonnes Dames » ou « Bons Chrétiens ». Les qualificatifs d’ « hérétiques albigeois » (région d’Albi), de « Cathares » (du grec Katharos « pur ») et de « parfaits » sont utilisés ironiquement à leur encontre au XIIIe siècle par les catholiques.« Les premiers qui vivent en communauté reçoivent le consolamentum (baptême spirituel). Il s’agit d’une imposition des mains qui accorde la rémission des péchés et la rédemption au bout d’une année de dures épreuves. Ils pratiquent le jeûne, la pauvreté et l’abstinence. Les autres les croyants, mènent une existence séculière et ne reçoivent ce baptême qu’au moment de mourir. Seuls ceux qui choisissent la voie de la perfection doivent consacrer tous leurs efforts à la purification du corps », explique Yves Rouquette, poète et écrivain occitan, fin connaisseur du catharisme.
Refus de toute alimentation carnée
Conformément à leur engagement, les « chrétiens » doivent donc s’abstenir de tout ce qui est gras (au sens de « faire gras »). En cela, ils respectent littéralement les enseignements tirés des Evangiles. Sont donc interdits la viande, la volaille, les œufs, le lait, les laitages et le fromage ainsi que des graisses animales pour la cuisson. Enfreindre cette prescription absolue leur fait perdre le bénéfice du baptême. Dans la perspective cathare, tous les animaux sont susceptibles d’avoir reçu une âme céleste… Le fait qu’ils consomment du poisson s’explique parce qu’ils croient qu’ils n’ont pas d’âme et ne se reproduisent pas. Jacques Fournier, un prédicateur cathare interrogé par l’Inquisition aurait dit : « Les esprit déchus sont les esprits humains et ceux des animaux ; ces derniers sont doués d’intelligence et de connaissance ; c’est pourquoi c’est un péché de les tuer ». Dans les montagnes de Haute Ariège, la viande (la fereza) est considérée pour les parfaits comme ni plus ni moins de la sauvagerie. Ce végétarisme est un refus de commettre la violence à l’égard d’une créature « ayant du sang ». « S’ils tombent par hasard sur un animal pris au piège, ils ont le droit de le délivrer. Mais, comme ils causent un dommage au chasseur, ils laissent à sa place une pièce de monnaie », poursuit Yves Rouquette. Chez ces chrétiens qui ont fait vœu d’abstinence et de chasteté, l’autre raison de ne pas consommer d’alimentation carnée vient du fait que toute chair provient de la fornication et est par conséquent ressentie comme impure.

Précautions et jeûnes
En revanche, ils se nourrissent de légumes (lentilles, pois et pois chiches, chou, navet, oignon, racines…) de fruits, d’huile, de poissons, crustacés et coquillages agrémentés parfois d’épices (clou de girofle notamment) cuisinés avec vigilance dans des ustensiles qui ne doivent pas être souillés par des aliments impropres ou de la graisse animale. Dans les périodes de persécution, et plus singulièrement au début du XIVe siècle, le « Bon Homme » est souvent seul, vit de la charité des croyants, voyage sans cesse afin de prêcher la « bonne parole ». Il risque de manger par nécessité ou inadvertance une nourriture souillée, qui lui est interdite. Aussi les précautions sont multiples. Dans les maisons où il est attendu par les fidèles, on veille tout particulièrement à la propreté rituelle dans laquelle il mange ou boit. Et, pour préparer un poisson, on n’hésite pas à laver une poêle à cinq eaux. Très souvent, le parfait porte sur lui son gobelet, sa cassolette de terre ou en achète une pour aller à l’auberge, où chacun cuit ce qu’il a apporté sur le feu commun. Le pâté de poisson (poisson cuit dans le pain) fait généralement d’anguilles, de saumon, de truites, est un des mets les plus appréciés. A l’occasion de certaines fêtes, le vin est autorisé mais est très largement coupé d’eau.
Temps fort de l’année : les carêmes. Les Cathares en pratiquent trois annuels de quarante jours chacun. La première et la dernière semaine sont jeûnées au pain et à l’eau. Ces mêmes jours sont observés durant toute l’année les lundi, mercredi et vendredi si le parfait ne travaille pas, ne voyage pas ou n’est pas malade. Dans ces derniers cas, il peut manger des légumes ou une noix, bouillis à l’eau. Les membres de la communauté cathare sont ensemble garants des interdits et des préceptes de vie. Les parfaites et les parfaits ne peuvent manger seuls, mais sous le contrôle d’une compagne ou d’un compagnon.
Le Catharisme
La doctrine cathare remet à l’honneur les conceptions dualistes anciennes propres au manichéisme. Elle enseigne que Dieu a créé tout ce qui était esprit tandis que Satan, son ennemi, a créé la matière, d’où la négation de la corporéité de Jésus-Christ et de la résurrection de la chair. Selon les cathares, le corps de Jésus et celui de la vierge Marie n’étaient en effet qu’apparents. L’homme étant fait d’un corps et d’une âme, il participe quant à lui des deux principes et ce n’est qu’en menant une existence pure et exempte de péché qu’il peut racheter sa part de lumière. Le catharisme condamne la hiérarchie de l’Eglise romaine au prétexte qu’elle ne respecte pas les idéaux du Christ. Les cathares se considèrent comme les seuls vrais disciples des apôtres, pratiquant la pauvreté absolue et travaillant de leurs mains pour vivre. Apparu au milieu du XIIe siècle, le mouvement s’implante dans les villes et les campagnes du nord de la Chrétienté occidentale. S’il ne réussit pas à éclore durablement en Allemagne ou dans les principautés du Royaume de France (Flandre, Bourgogne, Champagne), il connaît l’accueil le plus favorable dans les villes du nord et du centre de l’Italie et surtout dans le Midi languedocien. Au XIIIe siècle, parmi les fidèles, on trouve des marchands, hommes de lois, notaires, petits nobles et peu d’artisans et paysans. Les différentes tentatives de conciliation échouent au XIIe siècle. Le pape Innocent III lance la croisade contre les Albigeois à partir de 1209. La lutte armée se poursuit dans le Midi et dans tout l’Occident chrétien tout au long du XIIIe siècle, relayée par le tribunal de l’Inquisition dès 1233. En 1271, le Languedoc est définitivement annexé au Royaume de France. Les derniers refuges cathares livrés, il faudra attendre 60 ans avant de voir périr sur un bûcher le dernier cathare occitan Guilhem Bélibaste, dans la cour du château de Villerouge-Termenès, près de Carcassonne.

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