jeudi 26 octobre 2017

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : ÊTRE ASSASSIN, Colin Wilson





Etude – Être assassin (1972, Order of Assassins, the Psychology of Murder ; Alain Moreau, 1977 ; Le Pire des Mondes, Durante, 2002). Ce livre se présente comme le troisième opus de la trilogie du meurtre de Wilson, après L’Encyclopédie du Meurtre (1961) et le Répertoire du Meurtre (1969). Il est tout à fait intéressant, car il traduit une étape importante dans la maturation de la pensée de l’auteur. Le thème est certes le crime, ou plus exactement le « true crime », appuyé par une galerie impressionnante de « cas concrets ». Mais la recherche reste la même – on l’a vu dans les romans noirs précédemment évoqués – à savoir que se passe-t-il dans la tête de l’assassin ? Et quelle est la mécanique du crime dit « gratuit » ?
Wilson déroule une nouvelle fois son cheminement philosophique, partant de « l’outsider », engoncé dans sa quotidienneté au point de devenir « robot », prisonnier de ses habitudes avant de réussir à se libérer de ses chaînes. Il débouche sur la notion « d’homme de droit » qui est aussi un homme violent, thèse développée par A.E. Van Vogt qu’il considère comme particulièrement importante en matière de psychologie. Il s’agit du bourreau domestique, qui martyrise sa femme parce qu’il a tous pouvoirs sur elle, ou du dictateur, qui comment les pires méfaits au nom du régime dont il a instauré les règles. Mais c’est dans le schéma d’évolution proposé par le psychologue Abraham Maslow que Wilson trouvera les clés nécessaires à son analyse. Selon ce chercheur, l’évolution de l’individu passe par plusieurs stades : satisfaire ses besoins de sécurité et de nourriture, puis ses besoins sexuels ; c’est ensuite qu’il cherchera la réussite sociale et éprouvera le besoin de reconnaissance ; et de là, il pourra se tourner vers des besoins plus sophistiqués qu’il pourra satisfaire par la culture, l’art ou la religion et parvenir enfin à une conscience élargie. Et toute entrave au bon déroulement de ce schéma peut entraîner des dégâts importants à l’individu. On peut compliquer évidemment cette approche apparemment simpliste, notamment en examinant tous les types d’obstacles, mais elle donne certainement une bonne grille de lecture des cas criminels étudiés. D’autant plus que Wilson fait une nette différence entre le crime et l’assassinat. Le crime est le meurtre à la petite semaine, celui qui obéit à un médiocre mobile passionnel, amoureux ou financier en général. L’assassinat a une fin en soi et n’a d’autre raison que le dégoût de la banalité du quotidien conjugué à un énorme besoin de reconnaissance. C’est une façon de se réaliser en se faisant remarquer. Manson était un garçon sympathique et apprécié par son entourage qu’il érigea en Famille dont il était le chef naturel. Et il lui fallait sans cesse aller plus loin pour asseoir son emprise, débouchant sur le meurtre gratuit. Il était devenu un « homme de droit » qui n’avait plus de limites.
Wilson intégrera de façon curieuse Lovecraft dans sa démonstration, le présentant comme un « outsider » qui sublimera son besoin de reconnaissance non par le meurtre mais par la rédaction d’histoires d’horreur pour choquer le public. Il fera une longue analyse de Loved Dead, une révision pour C.M. Eddy (1922), dans laquelle la nécrophilie est portée au rang des beaux-arts. Une publication qui vaudra du reste quelques soucis à l’éditeur [1].
Colin Wilson nous a quitté en 2013 et n’a pas connu la barbarie islamiste qui nous infecte désormais quotidiennement. En reprenant le schéma de Maslov et le besoin de tendre en permanence vers un idéal, il nous aurait certainement expliqué que nos djihadistes se sont fait injecter un rêve absurde par sa cohérence, les transformant en « hommes de droit » aveugles.
L’auteur nous donne en annexe une petite étude sur Jack l’Éventreur dont les crimes ont été une source d’inspiration pour ses premiers romans noirs (Le Sacre de la Nuit, 1960, par exemple, qui est sa première fiction criminelle). On le sent hésiter, en ce qui concerne l’identité du tueur, entre le Duc de Clarence (frère du futur roi George) et l’un de ses amis, Sir Stephen. Mais ceci est une autre histoire !


[1] Le Nécrophile (1922, une révision pour Clifford Martin Eddy, The Loved Dead, in Weird Tales 1924). Une révision qui a dû être effectuée alors que Lovecraft travaillait sur Le Molosse dont la thématique est très proche. Un beau texte de poésie noire qui n’est pas sans rappeler celle des Fleurs du Mal. Il sera du reste repéré par les autorités qui protesteront contre ce genre de publication ce qui conduira l’éditeur à mettre Lovecraft « sous surveillance ». Il s’agit de l’histoire d’un jeune homme vivant en reclus chez ses parents à Fenham, ne s’intéressant à rien et plongé dans une lourde apathie. Jusqu’au jour où son grand-père décède et que l’enterrement de ce dernier lui apporte la révélation : une fascination morbide pour les cadavres, une passion dévorante pour les cimetières, une intoxication méphitique aux parfums des « ailes de la mort ». Ces mêmes délices seront à nouveau dégustés lors de l’inhumation de ses parents, puis ce sera le grand saut : travailler aux Pompes Funèbres. Pour assurer l’approvisionnement, il se transformera la nuit en sérial killer, mais se fera renvoyer de son emploi, son patron l’ayant retrouvé au petit matin enlacé avec un cadavre encore tout chaud. Il se fera affecter dans une morgue militaire lors de la Grande Guerre, et, de retour au pays, reprendra ses méfaits. Traqué finalement par la police, il se suicidera en s’ouvrant les veines.

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